Tu t'éveilles en sursaut. Couvert de sueur et le souffle court. Les draps inondés. Tu as dormi tout le jour. Encore le cauchemar. Toujours le cauchemar. Tu fermes les yeux et tu te retrouves dans cette jungle interminable, enveloppé de la brume matinale blafarde, à marcher encore et encore, un pied puis l'autre, un pied puis l'autre, un pied... et puis les Autres. Silencieux, ils glissent lentement autour de toi. Ils attendent le moment où tu cesseras de marcher. Le moment où ils t'emporteront.
Tu es maudit. Les morts t'accusent. C'est toi qui as ouvert le feu en premier. Puis les détonations du reste de l'escouade ont vite couvert les cris de douleur et d'agonie, les supplications, les pleurs. Qu'est-ce qui vous est arrivé ce jour-là ? Trop chaud, trop moite, trop peur. Trop de jours passés à errer, perdus dans cet enfer vert, à épier les ombres, en silence. La section Bravo s'était faite décimée dans une embuscade au sud du fleuve. Alors vous les avez vengé. A votre manière. Sûr que ce village ravitaillait les Viets. C'est juste que ce jour-là, la boutique était vide. Quelle importance, maintenant ? La guerre est finie. Tu es revenu entier. Faut la laisser là-bas. Pas question de finir en asile, comme Connors ou Split. Tu chasses les spectres de ton esprit. Au moins pour un temps. Peux pas rester dans le lit trempé de sueurs. Tu te passes la main sur la nuque. Poisseuse. Tu hésites un court instant. T'envoyer une gorgée de gnôle devant la télé, dans le canapé défoncé. Ou te rincer dans la salle de bain de cette piaule crasseuse...